
Air Belgium est une compagnie aérienne intrigante. Depuis sa création, il y a maintenant sept ans, elle a dû faire face à de nombreuses crises. Le CEO Niky Terzakis respire le transport aérien : il dirige Air Belgium avec expérience, passion et confiance en l’avenir. C’est une entreprise très agile, et Terzakis et son équipe n’hésitent pas à prendre des décisions rapides. Il y a cependant une décision qu’ils ne prendront jamais : modifier le service ou le produit. “You fly Belgian Class with Air Belgium”. Prenez-le au pied de la lettre. La preuve.
Il s’agit peut-être d’un cas unique dans le monde entier : une compagnie aérienne qui porte le nom de son pays d’origine comme une marque, mais qui n’a pas le statut officiel de “compagnie aérienne nationale”. La compagnie aérienne a été officiellement créée en 2016 et a reçu son AOC en mars 2018. Elle a lancé des vols de Charleroi à Hong Kong, avec des projets pour de 2 ou 3 liaisons par semaine vers Hong Kong, Zhangzhou, Taiyuan et des options pour les Philippines et Tokyo. Des problèmes avec des partenaires voyagistes chinois ont contraint Air Belgium à procéder à des ajustements rapides en 2019 et de nombreux vols ont été effectués pour des tiers, notamment TUI fly, LOT, British Airways, Air France et d’autres. Air Belgium a cependant réalisé des bénéfices en 2019. Puis est arrivé le covid et le CEO Niky Terzakis a décidé : “Air Belgium continuera à voler”.
“Alors que d’autres compagnies aériennes ont décidé très rapidement d’immobiliser leurs avions et de frapper aux portes de leurs gouvernements respectifs pour obtenir un soutien le plus rapidement possible, nous avons cherché des opportunités. Il a fallu rapatrier des personnes, transporter du fret et, au bout d’un an, livrer des vaccins dans le monde entier… La période de la pandémie a été pour Air Belgium des années de travail acharné.’’
“En même temps, ce début difficile a été la période où s’est formé “l’esprit Air Belgium”. Aujourd’hui, quand je regarde en arrière (ce que je fais rarement : je regarde devant moi et j’ai toujours des projets), je vois une équipe extrêmement motivée, composée de ” gens ordinaires qui réalisent souvent des choses extraordinaires’’. Et j’en suis très fier.’’
“Pourtant, il y a quelque chose qui dérange le CEO de temps à autres. “Apparemment, dans certains cercles, y compris la presse, les gens sont soit pour, soit contre Air Belgium. Il n’y a pas de juste milieu. Chaque fois que nous devons prendre une décision, comme d’autres compagnies aériennes, les critiques fusent. Souvent sans même nous contacter. Est-ce le nom qui attire l’attention, est-ce la fierté avec laquelle nous portons le nom “Belgium” dans notre logo, est-ce notre choix d’une ” Belgitude ” dans tout ce que nous faisons, est-ce la combinaison de flexibilité et de confiance en soi qui nous caractérise tant ? Est-ce notre structure d’actionnariat qui est assez atypique ? Je ne sais pas.’’
“Ce que je sais, c’est que depuis nos premiers vols en 2018, beaucoup de compagnies aériennes ont discrètement disparu du radar. Sans qu’il y ait beaucoup de directives données à ce sujet. Mais soit, passons : Air Belgium est une entreprise avec sa propre dynamique et des approches stratégiques très claires.”
“Les articles de presse et les rumeurs concernant notre soi-disant “situation précaire” à la fin de l’année 2022 nous ont rendu la vie un peu plus difficile pendant un certain temps, je l’admets volontiers”, déclare-t-il. J’ai trouvé étrange, et franchement épuisant, que des articles soient diffusés dans le monde entier, souvent sans nous contacter. Et, soyons honnêtes : je ne connais pas une seule compagnie aérienne aujourd’hui qui ne soit pas en proie à des difficultés financières. (Rires) Sauf peut-être Ryanair”.
“Air Belgium n’est pas assise sur une montagne de cash. Nous n’avons pas d’actionnaires qui brandissent des sacs d’argent. Cela signifie que la résilience est ancrée dans notre façon de travailler et que nous devons, et pouvons, nous adapter en permanence aux circonstances. La décision de réduire les rotations dans les Caraïbes l’hiver dernier, pour ensuite décider de ne pas les poursuivre cet été en est un exemple. Tous ceux qui ont suivi la situation avec un peu de clairvoyance ont compris ces décisions. Avec des coûts de carburant et d’exploitation qui n’ont cessé d’augmenter, une capacité initialement énorme de la part de divers acteurs et une demande plus faible que prévu, il faut prendre des décisions judicieuses à un moment donné. Nous sommes une compagnie aérienne relativement petite, mais très ciblée. Nous osons prendre des décisions, mais nous osons aussi ajuster nos plans. La flexibilité est une nécessité absolue pour diriger une compagnie aérienne.“
“Les liaisons avec l’île Maurice et l’Afrique du Sud sont une réussite. Les augmentations de fréquence espérées et prévues sont en cours de préparation et seront décidées au moment opportun. Mais ce qui est très important, c’est qu’il ne s’agit pas de simples vols point to point. Au départ de l’Afrique du Sud et de l’île Maurice, nous sommes également le feeder européen pour toute une série de destinations. Nous appliquerons également ce modèle aux futures liaisons.”
À ce stade de la conversation, nous avons déjà parlé du fret, du transport de passagers, des vols pour d’autres compagnies aériennes. Je fais remarquer qu’il s’agit d’un large éventail d’activités, mais Niky Terzakis m’interrompt : “Dès le début d’Air Belgium, nous avons consciemment et stratégiquement choisi trois activités pour générer des revenus. Notre cœur de métier est le transport de passagers long-courrier, avec des choix clairs en termes de service et de confort. J’y reviendrai dans un instant.”
“Une deuxième source structurelle de revenus est notre activité ACMI (aircraft, crew, maintenance and insurance, également appelée “wet lease”, ndlr). Nous sommes des prestataires de services pour d’autres compagnies aériennes, de préférence des transporteurs historiques. C’est ce que nous faisons depuis les débuts d’Air Belgium. Cela présente plusieurs avantages : nous maximisons l’utilisation de nos avions sans devoir prendre de risque commercial et nous pouvons travailler avec des bonnes marges stables. Mais il y a un autre avantage important : cela permet à nos jeunes membres d’équipage d’acquérir rapidement de l’expérience. Si nous opérons des vols ACMI pour British Airways, par exemple, l’équipage doit être capable de s’adapter aux normes de BA en termes de service. Si nous travaillons pour une compagnie aérienne de vacances, c’est complètement différent. C’est très apprécié par notre personnel, et une formule d’apprentissage qui amène très vite de l’expérience qualitative”. Les activités ACMI étant structurellement intégrées à notre stratégie, le marché sait en permanence quels sont les avions dont nous disposons et à quel moment. La gestion de la disponibilité des avions et des équipages est un métier en soi, que nous maîtrisons très bien“.
“Le troisième pilier est le transport de marchandises. Cela se fait avec des avions-cargos, mais n’oubliez pas que le fret est aussi transporté dans le “ventre” de nos appareils dédiés aux passagers. En outre, vous savez que j’ai un long passé chez TNT et beaucoup d’anciens collaborateurs et professionnels de TNT travaillent aujourd’hui chez Air Belgium. En termes de transport de fret, il y a donc beaucoup d’expérience au sein de l’entreprise !”
Niky Terzakis évoque brièvement l’étonnante tactique des “changements rapides” de TNT dans les années 1990, lorsque les Boeing 737 pouvaient être convertis d’avions de fret en avions de passagers en l’espace de quelques heures, afin d’offrir une flexibilité maximale et de maximiser la productivité des avions. À l’époque, cette initiative a été unanimement considérée comme un tour de force dans le secteur.
“En fait, le transport de marchandises et les vols de passagers peuvent être très complémentaires pour une compagnie aérienne. Pendant l’été, le trafic de passagers connaît un pic en raison des vacances, mais c’est aussi exactement la raison pour laquelle la logistique – et donc le fret – fonctionne à un niveau inférieur. Pendant l’hiver, et surtout pendant le quatrième trimestre, le “fret” connaît à nouveau un pic important. Nous pouvons donc également optimiser l’utilisation de notre flotte de cette manière”.
J’avoue que cet exposé me permet de mieux comprendre la stratégie d’Air Belgium. Le choix délibéré d’une combinaison des trois composantes de l’activité exige certes beaucoup de savoir-faire, de connaissance du marché et d’expérience, mais elle permet aussi à la compagnie de ne pas être dépendante d’une seule forme de revenu et de pouvoir changer rapidement en fonction des circonstances. Ce qu’Air Belgium a amplement prouvé depuis sa création.
Pour ce qui est de l’avenir, il semble que le CEO associe une vision claire à une planification et à des objectifs ambitieux.
Je renvoie Niky Terzakis aux déclarations sur l’avenir de la compagnie qu’il a lui-même faites récemment en marge de la visite de la famille royale en Afrique du Sud. A ce propos, le Roi et son entourage auraient été particulièrement fiers d’atterrir sur le sol étranger à bord d’un avion “Air Belgium”, dont la livrée reprenait les couleurs nationales et la couronne. Au cours de ce voyage royal, le CEO a déjà très prudemment levé un coin du voile : un nouveau modèle économique est en cours d’élaboration, il est question d’un solide financement supplémentaire et, en termes de destinations, le continent américain, l’Afrique et l’Asie ont toutes été mentionnées.
“Nous avons en effet de fortes ambitions de croissance pour les années à venir. Cela nécessitera des ajustements structurels au niveau du capital et de l’actionnariat, mais les discussions sont bien avancées. Les trois piliers que sont le fret, l’ACMI et les passagers constitueront toujours la base, avec une flotte plus importante et renouvelée. En termes de destinations, nous prévoyons une expansion à environ 20 destinations directes dans les cinq prochaines années. (Sourire). Je n’aime pas donner trop d’informations sur ces destinations spécifiques car je sais par expérience que cela donne lieu à chaque fois aux spéculations les plus folles.”
Niky Terzakis est manifestement enthousiaste quant aux projets d’avenir de “sa” compagnie Air Belgium. Pour lui, le niveau de service exceptionnel est au cœur de cette ambition. “Nous sommes une entreprise de services. Mieux encore, une entreprise de services qui respire la “Belgitude”. Notre hospitalité, la qualité de la restauration à bord, le vrai sourire de l’équipage, la volonté de rendre l’expérience du vol aussi agréable que possible pour chaque passager : cette combinaison garantit qu’Air Belgium offre un produit 100% au top ! C’est ce produit et ce service qui font la différence. Aujourd’hui et demain.’’
© Eric Magnan
Je pose une question atypique au dirigeant d’Air Belgium : avait-il un “rêve” en tête lorsqu’il a fondé Air Belgium ? Terzakis n’hésite pas et répond directement. “Très honnêtement, l’idée n’est pas venue de moi. Mais lorsque j’ai été contacté de différents côtés, j’ai fait quelques observations importantes. La Belgique est, en termes de localisation et d’institutions, le cœur de l’Europe. Il y a plus de représentations diplomatiques à Bruxelles que partout ailleurs en Europe ! Pourtant, je dois constater qu’en termes de liaisons directes long-courriers, la Belgique est le pays le moins bien connecté d’Europe. Saviez-vous qu’en 2019, il n’y avait que 34 vols long-courriers sans escale au départ de Bruxelles ? À titre de comparaison, à l’époque, vous pouviez prendre 148 vols directs long-courriers à Schiphol et environ 130 à Paris.”
“Sept voyageurs d’affaires sur dix sont contraints de faire la navette entre Bruxelles et une ville d’escale avant de prendre un autre vol pour se rendre vers leur destination finale. Je pose la question à tout le monde et maintenant à vous aussi : comment pouvez-vous prétendre être le “cœur de l’Europe” si vous êtes la ville la moins bien connectée ?”
Le dirigeant va plus loin : “De bonnes liaisons aériennes sont essentielles pour la stabilité économique et le progrès d’un pays. Il ne s’agit pas seulement des représentations de l’OTAN et de l’UE à Bruxelles : il s’agit de stimuler l’innovation, de rendre la Belgique attrayante pour les investissements futurs des entreprises nationales et étrangères. Je dis parfois, en riant, qu’il est aussi compliqué de se rendre en Belgique qu’à Maputo en Afrique. Un peu exagéré ? Peut-être. Mais il est urgent d’y réfléchir et d’agir.”
“Air Belgium veut améliorer cette situation, avec un ” modèle de hub inversé ” : partout où nous irons, à l’avenir, nous conclurons des accords avec des compagnies qui peuvent offrir à nos voyageurs un réseau fiable de vols de correspondance lorsqu’ils arrivent à l’autre bout du monde. Quand on parle d’une ambition de 20 vols directs long-courriers, cela signifie aussi au moins 50 destinations indirectes, dont Air Belgium est le feeder long-courrier.’’
Après la question sur le rêve initial, j’aimerais également savoir quels sont les autres rêves de Niky Terzakis dans le domaine des affaires. À cette question aussi, il répond rapidement et clairement : “Un rêve, c’est bien, mais il faut que ce soit un rêve réalisable. Je préfère donc parler de vision. Je veux absolument qu’Air Belgium devienne un “carrier of choice”. Une compagnie aérienne que les clients choisissent consciemment, en raison de la qualité de son service, de son nom et de sa réputation. Je remarque que c’est l’un des objectifs les plus difficiles à atteindre dans le transport aérien : la grande majorité des choix sont en effet déterminés par la destination, le prix et parfois le chauvinisme pur et simple. Ce dernier point amène Terzakis directement à l’un de ses chevaux de bataille.
“Nous, les Belges, nous manquons parfois d’un peu de chauvinisme qui, je pense, frise parfois l’autodestruction. Air Belgium a d’abord été présentée comme “la compagnie wallonne”. Ce n’est pas vrai : nous sommes à 100% belge. Mais je dois reconnaître qu’il faut être patient et courageux pour lancer une initiative ambitieuse comme une compagnie aérienne long-courrier en Belgique. Les critiques fusent immédiatement, mais la fierté et la satisfaction arrivent beaucoup plus lentement.”
“Quoi qu’il en soit, l’avenir est prometteur pour Air Belgium. J’ai une confiance totale dans notre produit, dans notre service et dans la qualité et l’engagement de notre personnel.” (Il me regarde attentivement) “Comme vous le savez, Jan, je suis un vétéran du transport aérien, avec de nombreux kilomètres au compteur. Mais je peux confirmer, la main sur le cœur, que je n’ai jamais travaillé avec une équipe aussi exceptionnelle, motivée et professionnelle qu’aujourd’hui chez Air Belgium. Et le résultat de tous ces efforts ? Our clients fly Belgian class.’’